Se former aux fondamentaux de l’éduc pop grâce à “Mary Poppins”

Alexis Michel, chargé de mission au pôle engagement de la Ligue de l’enseignement et co-créateur de la formation "Mary Poppins - De l'éduc pop dans mon sac à main", revient sur la création de ce module, son évolution et les enseignements qu'il en retire.

La ressource

Auteur : In:Expeditions / Victoria Lemaire

Copyright : "In:Expeditions Creatives Commons CC-BY-NC-ND"

Date de production : Octobre 2025

Temps de lecture : 15 minutes

Se former aux fondamentaux de l’éduc pop grâce à “Mary Poppins”

Depuis ses débuts en 2023, près de deux cents participants et participantes sont passés par la formation “Mary Poppins”, qui introduit les essentiels de l’éducation populaire… en utilisant des outils de l’éduc pop ! Alexis Michel, chargé de mission au pôle engagement de la Ligue de l’enseignement et co-créateur de cette formation, revient sur ses débuts et ses perspectives d’avenir.

Tu as créé la formation “Mary Poppins – De l’éduc pop dans mon sac à main : introduction à l’éducation populaire et à ses méthodes” en 2023 avec Julie Doniol-Valcroze, qui vient de la fédération des Hauts-de-Seine. Comment cette idée vous est-elle venue ?

Chacun de notre côté, nous avions repéré un besoin criant chez les collègues qui prenaient un poste en fédération départementale : celui d’être accompagné pour mettre un pied dans ce qu’est la Ligue de l’enseignement, ses valeurs, son histoire, et plus largement ce que cela signifie de rejoindre un mouvement d’éducation populaire. Ce besoin résonnait d’ailleurs avec ma propre expérience. Quand j’ai commencé mon stage à la fédération départementale de la Marne, je me souviens que, mon premier jour, je me suis retrouvé à animer un débat dans un collège sur le film Super size me, car le président ne pouvait pas y aller. Donc pour cela il faut connaître les principaux ingrédients que l’on n’a pas forcément en arrivant : comment faire un nuage de mots, un débat, ou encore un photolangage.

Ces observations ont progressivement préparé le terreau fertile pour qu’au détour d’une conversation, Julie et moi, qui nous connaissions déjà plutôt bien car nous étions référents service civique dans nos fédés respectives, on se soit dit qu’on voulait proposer quelque chose de différent. C’est-à-dire qui ne soit plus une formation attachée à un pôle, mais beaucoup plus transversale, pour toutes les fédérations départementales, voire plus largement pour toutes les structures qui relèvent du champ de l’éducation populaire.

Quand on arrive à la Ligue, est-ce que ce dont on a le plus besoin, ce sont les outils de l’éduc pop ? 

Sur beaucoup de postes, oui. Je pense que les deux tiers des effectifs qui intègrent les fédérations départementales ont besoin de ces ingrédients-là. Tout comme ils ont besoin de savoir dans quel mouvement ils ont mis les pieds et quel est son héritage. De façon à se l'approprier et à fabriquer leur propre vision de l’éduc pop de demain, de la Ligue d'aujourd'hui, de leur boulot, pourquoi ils se lèvent le matin… Parce qu'il y a quand même, je trouve, un besoin de redonner du sens. Et quand on apprend pourquoi la Ligue s'est fondée, en réponse à quelles problématiques, c'est encore vraiment d'actualité. La culture pour tous, le loisir pour tous, le cinéma pour tous, le sport pour tous, la capacité à s'associer, à faire démocratie ensemble… On est en plein dedans. Le constat c'était aussi que les outils d'éduc pop s’inscrivent souvent dans une tradition orale et expérientielle. On se crée son bagage au fil des années. On voulait créer un petit raccourci, un "cours accéléré" pour remplir la mallette pédagogique des nouveaux venus avec les essentiels.

Le socle fondateur de Poppins c'est donc de mettre les gens au charbon sur des techniques d'animation qui sont elles-mêmes investies par un contenu qui n'est pas n'importe lequel : l’éduc pop, l’histoire de la Ligue, ses valeurs et, un peu aussi, la capacité à parler de la Ligue en tant que professionnel. Il y a quand même une étape où on a besoin de décrire la nature de la Ligue à la CAF, à une mairie et même à sa famille.

Comment l'idée de faire référence à Mary Poppins dans le nom de la formation est-elle arrivée ?

Ce nom est un accident total, mais c’est aussi le moteur de sa réputation et de sa diffusion. On désespérait un peu du formalisme des titres de modules dans le cadre du plan national de formation, qui s'appelait à l'époque le plan de développement des compétences. Donc on s'est dit “on va casser les codes”. Et en échangeant, le sac à main de Mary Poppins est venu comme une allégorie.

Le titre c’est “Mary Poppins, de l'éducation populaire dans mon sac à main” et il y a un sous-titre : “Introduction à l'éducation populaire et à ses méthodes”. Et tu vois, c'est criant de vérité parce que “Mary Poppins de l'éducation populaire dans mon sac à main”, c'est Julie et Alexis pour le pas de côté. Mais “introduction à l'éducation populaire et à ses méthodes”, c'est un intitulé compatible avec Uniformation (ndlr : l’Opco de la Ligue).

Vous avez créé un deuxième module Mary Poppins, dont la première session a eu lieu cette année. Comment ce niveau 2 est-il né ?

C'était réclamé par tous les participants de Poppins, qui exprimaient leur volonté de se revoir pour aller plus loin, parce qu'à bien des reprises, il y a des boîtes que l'on referme très vite. On a imaginé, avec Julie, un format inspiré de l’univers de l’heroic fantasy, à la manière d’un “jeu dont vous êtes le héros”, pour travailler sur le rôle et la posture du formateur. On a eu onze participants à cette première session, qui s'ajoute aux sept itérations du premier niveau de Poppins sur trois ans. À la fin 2025, on aura presque deux cents personnes qui seront passées par la formation. 

En septembre 2025, Mary Poppins a même pu aller se dorer la pilule au soleil de Tahiti : ce sont 26 collègues de cette fédération que j’ai eu la chance de former là-bas. La particularité ici, c’est que l’on a considéré cette séquence comme un tronc commun préalable, pour ensuite enchaîner sur de la formation de formateurs BAFA BAFD, FCC (formation pour les jeunes en service civique) et FOA (formation pour les tuteurs de volontaires).

J’ai assisté au niveau 1 de Mary Poppins en 2024 et ce qui m'avait frappée, c'est que tout passe par de l'animation, des exercices, des ateliers. Pourquoi la pratique et l'expérience sont-elles si centrales ?

Me concernant, je crois qu'il y a un sacré héritage du BAFA, qui fonctionne strictement sur ce principe-là : la mise en action, la formation-action. En gros, le jeu d'essai-erreur, à ne pas confondre avec la pédagogie de l'échec.

Quelle est la différence ?

La pédagogie de l'erreur, c'est tester, se planter, apprendre, s'améliorer. Ce sont des moments de brouillon, entre pairs, où l’on a le loisir de se tromper, d'analyser ce qui n’a pas fonctionné, d'en parler librement, en dehors de tout orgueil et de tout jugement. Ça permet de bien avancer parce que quand on sera sur le terrain, on n'aura plus trop le loisir de se planter. À la différence, la pédagogie de l'échec consiste à mettre les gens dans des situations dont l'objectif est inatteignable, pour au bout du compte leur dire : “Vous voyez, vous n'y arrivez pas”, partant du principe que cela peut déclencher chez eux l'envie de se dépasser. C'est, pour moi, le degré zéro de la pédagogie. Il y a des moments pédagogiques où l’on peut mettre les gens dans cette situation-là, pas forcément de façon consciente, mais le résultat est le même : on a demandé à des gens d'accomplir une tâche qu’ils n’étaient, de toute façon, pas en capacité de faire.

Dans pas mal de séquences de Poppins, il y a cette pédagogie de l'erreur mais aussi beaucoup de mise en mouvement du corps. J'ai l'impression que c'est un outil central de l'éduc pop et de la formation. Pourquoi, selon toi ?

Déjà parce que c'est une manière extrêmement pratique de tuer la passivité. Quand on est un professionnel qui a l’habitude d’agir, se retrouver en situation de stagiaire peut être un peu plombant. Et pour moi, qui dit mise en mouvement dit implication et donc une possibilité pour nous de transmettre. C'est aussi simplement une façon d'expérimenter, en le vivant soi-même, l’utilisation de différents espaces, des dispositifs qu'on pourra reproduire pour ses actions. C'est la meilleure manière de percevoir de façon sensible les avantages pédagogiques de l'une ou l'autre disposition.

Sur le niveau 2, on a donc beaucoup plus poussé en organisant différents coins dans la salle. Pour ritualiser un certain nombre de choses dans les trois jours, les temps étant associés à des lieux. Mine de rien, c'est l'un des facteurs qui vont permettre aux gens de s'approprier à la fois la formation, les contenus, les espaces et le groupe. Cela encourage à aller vers l'autre et ne pas rester entouré de ses deux voisines préférées. Pour toutes ces raisons, les méthodes qui demandent de bouger sont quand même plutôt utiles avec peut-être quelques inconvénients.

Quels inconvénients vois-tu ?

Il ne faut pas qu'il y en ait trop, le dosage est important : c'est la dose qui fait le poison. On peut aussi avoir besoin d'un rythme plus doux, plus ralenti, cocooning et posé. Les corps ont parfois des contraintes, des handicaps, des jours avec et des jours sans. Donc il faut faire attention au caractère obligatoire de ce qui mobilise l'endurance et la dextérité, comme dans les moments de jeu.

J’aimerais aussi te partager un problème que l’on a remarqué dans les groupes sur le niveau 1 de Poppins et qui a été au cœur de nos conversations pour le niveau 2. On a appelé cela le problème de la bienveillance. On s'est retrouvés une ou deux fois avec une sorte de chape de plomb sur ce qu'il est ok de dire ou pas au sein de notre groupe. C’est plutôt véhiculé par des participants leaders qui, dès le début, se posent un peu en censeurs, de façon extrêmement insidieuse. Ce qui pour nous stérilise totalement les échanges. 

Cela concerne des sujets en particulier ? 

La politique, au sens de l’organisation de la société, même si ça peut parfois glisser sur la politique partisane. Ce qu'on observait en réalité, c'était une "politisation" systématique des expressions individuelles. Amenant à un cloisonnement informel de ressentis qui ne cherchaient qu'à s'exprimer (et y étaient invités par nous !). L'appel à la bienveillance pour cadrer la parole "permise ou non" sur son contenu ou sa forme venait alors paradoxalement freiner la diversité des échanges et l'égal confort de chacun dans ces échanges. Dire que l’on veut un groupe hétérogène n’est pas un vain mot, cela implique que toute parole doit être accueillie. On ne peut se permettre de laisser des participants venant se former à la posture de formateur stériliser des échanges. Qu’est-ce que cela va donner ensuite sur le terrain ? 

C’est devenu un vrai sujet pour nous et Julie a proposé d’en faire une méthode. On a donc accouché du “procès de la bienveillance”, plutôt tourné sur le second degré. C’est une activité que l’on a faite sous forme de veillée lors de Poppins 2. Chaque sous-groupe a un rôle, on leur donne les éléments et on leur demande de porter un plaidoyer, pour la partie civile comme pour la défense, et de rendre une décision pour les juges. On leur donne à voir plusieurs situations dont l’une est un repas qu’un groupe d’amis veut partager. Décision est prise de faire une omelette, mais personne ne parvient à exprimer correctement ses besoins et ses envies de peur de heurter les autres. Résultat, personne n’est satisfait et ce repas est un échec.

Le but est que les participants aient une vigilance par rapport à cela. Qu’ils comprennent l’importance de proposer un cadre permettant à leurs futurs participants de s’exprimer librement, d’aller à contre-courant et ainsi d’éviter de mener un groupe à l’échec, faute d’avoir pu s’organiser collectivement. Nous devons tenter d’être cet agitateur de pensée, nécessaire dans nos espaces de formation, ce dont la Ligue se revendique d’ailleurs. C'était l’un de ses slogans, je revois des autocollants qui disaient “agitatrice de citoyenneté” !

Par ailleurs, j’ai pu retrouver dans la séquence des outils de brise-glace que j’ai déjà vus dans des formations en entreprise, ou dans le domaine de l’économie sociale et solidaire. Il me semble que ces outils viennent d’abord de l’éduc pop. Comment cela te fait-il réagir ? 

Oui, tout cela relève d'abord du champ de l’éducation populaire et ça a ensuite infusé ailleurs. Et c'est tant mieux. Parce que oui, clairement, un brise-glace peut avoir son intérêt en préambule d’un CODIR de deux heures sur le management. Grand bien leur fasse au contraire. Après, c’est à manipuler avec précaution. Puisque tu mets les gens en mouvement et que tu veux de l'implication, cela peut remuer des choses. Il faut que l'on se demande dans quelles mains ces outils se trouvent et quelle intention motive leur utilisation. Parce qu'il y a quand même des objectifs que ces méthodes poursuivent.

Le simulacre de participation par exemple, c'est quelque chose qui est pour moi très difficile à encaisser. Mettre en place un système qui donne l'illusion aux gens qu'on les consulte, qu'on les écoute, alors que le compte-rendu est écrit depuis bien longtemps et que tout ça va rester lettre morte. Hashtag le grand débat d'Emmanuel Macron (ndlr : le Grand débat national organisé en 2019 en réponse au mouvement des Gilets jaunes, et qui a donné lieu aux cahiers de doléances, peu voire pas exploités par la suite). C'est vraiment l'antidémocratie dans sa plus pure expression. Ne pas accepter la contradiction est le travers le plus répandu je pense : je mets en place un temps d'échange et de dialogue où je fais croire que j'accepte tout point de vue. Et puis quand viennent les arguments qui ne m'arrangent pas trop, soit je me fâche, soit je tente de les convaincre qu'ils ont tort.

En tout cas, il faut savoir qu'avec nos méthodes on peut mettre les gens en difficulté assez rapidement. Exercer sa liberté, mine de rien, ça s'apprend. 

Dans la formation, quelle est ta partie préférée, ou celle sur laquelle tu as un souvenir marquant ?

Je crois que mon souvenir le plus saillant est la joute oratoire. On a atteint les limites, ici, de la capacité de notre public à rester dans un rôle qu’on lui assigne. Les débats, alors qu'ils sont censés mobiliser des choses fictives, et faire défendre par les participants des positions auxquelles ils n'adhèrent pas forcément, ont glissé vers du vrai débat, plus personnel. Le débat méchant, qui fait mal. C'est hyper intéressant parce qu'on ne l'a pas vu venir. Quelque part, ça traduit une forme de réussite, puisqu'ils se sont suffisamment impliqués pour oublier que c'était un jeu, et qu'on travaillait l'éloquence et la capacité à argumenter, pas du tout les sujets eux-mêmes. Il aurait mieux valu rester sur des sujets comme “montagne ou mer pour les vacances ?”, “pour ou contre la pizza à l'ananas ?”, plutôt que de traiter de vraies thématiques de fond qu'on aborde durant la formation, c'est-à-dire : “c'est quoi la place de la Ligue à côté de l'école ?”, “est-ce qu'être animateur, c'est être un clown ?”, parce que ça mobilise chez elles et chez eux des visions très personnelles de leur rôle de militant et de salarié. Et ça s'est accroché. Cela reste un souvenir très intéressant car c’est probablement la résultante du fait que les collègues présents à la Ligue ont une vision, qui ne saurait être muselée.

C’est pour cela que vous arrêtez d’inclure cette méthode ? 

Oui, parce que c'est un outil que je ne sais pas manipuler, cette méthode s’appuyait sur l’expérience de Julie, qui n’anime plus le niveau 1 avec moi. Si tu ne sais pas gérer une perceuse, tu poses la perceuse… et tu prends un tournevis ! Il faut être conscient de ses limites. On va donc arrêter cette méthode au profit de celle des quatre coins qui est une vraie méthode de débat, beaucoup moins axée sur la rhétorique.

Comment cette méthode des quatre coins fonctionne-t-elle ? 

J’énonce une affirmation et tu te positionnes dans l'espace. Tu as quatre possibilités en fonction de ton degré d'adhésion à l'affirmation : premier niveau où tu n'es pas du tout en accord, jusqu'au quatrième niveau où tu es parfaitement en accord. Ou alors, j'énonce une situation et je te donne quatre possibilités de réponse face à cette situation. Évidemment, tu réécris la situation sur un grand A3 et tu mets niveau 0, niveau 1, niveau 2, niveau 3 dans l'espace pour que les gens mémorisent où ils sont et ce dont on parle. Puis, tu fais s'exprimer chaque groupe, généralement du moins au plus représenté. Et si tu es en co-animation, tu peux positionner ton collègue là où ça t'arrange pour qu'il ou elle puisse alimenter le débat. Parce qu'évidemment, on va rapidement vouloir entrer dans la contradiction. Chaque groupe énonce pourquoi il s’est positionné là où il se trouve, puis pourquoi il n’est pas là où il n’est pas. C'est là que la contre-argumentation commence à intervenir et où il y a vraiment débat.

Ce qui est gênant, c'est qu'elle est un peu redondante avec le débat mouvant qu’on leur propose déjà d’animer par eux-mêmes. Mais ce dernier est plus polarisé, avec seulement deux possibilités, alors que la méthode des quatre coins est plus nuancée. C'est beaucoup plus facile de pondérer ses propos, d'aller chercher des arguments ici et là, pour fabriquer sa propre matière.

Pour conclure, une dernière question : avec quel message principal voudrais-tu que les participants repartent, après la formation Poppins ?

Que l’on peut toutes et tous faire de l’animation ! Et j'ajouterais, qu'importe ta personnalité. On croirait qu’il faut être extraverti… Alors que si tu as un binôme d’animateurs constitué de deux personnes extraverties, ça ne va pas être agréable du tout ! Et dire aussi “OK, tu n'es pas prof, mais des choses à transmettre, tu en as des kilos”. Il y a cet enjeu de donner de la légitimité aux gens. Alors, oui, il y a l'outillage, et le fait de rassurer chacun sur sa personnalité. Mais il y a aussi de la déculpabilisation et de la relégitimation. Je crois que l'un des enjeux principaux de Mary Poppins, c'est de dire “tu viens d'arriver dans ton poste, ne t'inquiète pas, ça va bien se passer, tu as plein de choses à transmettre, tu trouveras ton vecteur, ton support, ta posture, et tu vas piquer plein de tips aux autres. Tu vas mélanger ça. Et après, ça fera toi.”

Se former aux fondamentaux de l’éduc pop grâce à “Mary Poppins”