Des ressources pour voir l’eau comme un bien commun
Adapté à tous les publics, le dispositif Fleuves Grandeur Nature vous fait découvrir le territoire à travers ses cours d'eau, et surtout ses bassins versants, le tout pour parler autrement des enjeux environnementaux.
La ressource

Débuté il y a plus de dix ans, le projet Fleuves Grandeur Nature a développé de nombreuses ressources pédagogiques et graphiques pour parler d’environnement à travers les fleuves qui maillent notre territoire. Franck Beysson, directeur adjoint du service éducation à l’environnement et transition écologique à la Ligue de l’enseignement de la Loire (42), revient sur la création et la vie mouvementée de ce dispositif.
Quel a été ton rôle sur Fleuves Grandeur Nature ?
J'étais là depuis le début, à la naissance de l'idée et du lancement du projet européen. On a été trois pays à travailler dessus, avec des collègues de la Ligue de l’enseignement en Belgique et de l’association Solidarci en Italie. Le dispositif était ultra ambitieux en termes d'ingénierie pédagogique, mais aussi de dimensionnement, d'ampleur, d'impact, puisqu'on a travaillé sur huit fleuves. J'étais animateur des équipes de travail sur les trois années de développement, j'ai réalisé la conception du projet, le dessin graphique des visuels, travaillé sur la création de ressources directement, ainsi que sur la construction et le suivi des partenariats. C’était un poste multifonction, un peu couteau suisse !

Est-ce que tu peux nous raconter la genèse du projet ?
L'idée nous est venue parce que j'avais commencé à apprendre à faire du dessin sur ordinateur, avec des logiciels de graphisme. En parallèle, on s'est rendu compte que quand on aborde le cycle de l'eau en classe, on a toujours le même visuel générique dans les livres : Une montagne, une rivière qui en descend, une ville, la mer. Toujours pareil. À l’époque, à la Ligue, on a aussi entamé un travail sur la pédagogie de la conscientisation et de l'engagement. C’est-à-dire une posture pédagogique qui permet non seulement de conduire à une conscientisation, à s’éveiller à l’esprit critique, mais aussi à s’engager c’est-à-dire à être dans l’action et dans le changement. Et pour ça, il faut mettre en œuvre certains éléments : par exemple, partir du territoire de vie des gens plutôt que de parler de cas génériques ou abstraits. Il faut montrer les richesses, donner l'envie de préserver les choses et montrer aussi des perspectives de solutions, des choses qui vont bien, même si on aborde aussi les problèmes du territoire. Ce fond pédagogique-là est important dans ce qu'on a créé. C’est ainsi qu’on s’est dit qu’on pourrait adapter les visuels génériques du cycle de l’eau aux territoires de vie des gens et en faire un véritable outil éducatif.

Les éléments pédagogiques de Fleuves Grandeur Nature sont très liés à la notion de bassin versant. Peux-tu m’expliquer ce que c’est ?
Pour schématiser, un bassin versant est un territoire géographique sur lequel toute goutte d'eau qui tombe va finir par rejoindre un fleuve. Quand on parle du bassin versant de la Loire, c'est le territoire qui comprend non seulement le fleuve dans toute sa longueur, mais aussi toutes les terres non émergées qui connectent les affluents. Ainsi, on se rend compte qu'on doit penser l'eau comme un bien commun et travailler ensemble. Les questions sur les guerres de l'eau qui peuvent se poser dans le monde, ce sont des questions de bassin versant, par exemple.
Il y a peut-être une frontière, qu'elle soit communale, départementale ou régionale, mais l'eau continue de couler, et si je bloque la goutte d'eau ou si je la pollue, cela va avoir une influence significative en aval, et ça pose plein de questions sur la gestion collective de l'eau. Donc c'est la bonne échelle pour parler de la gestion de l'eau sur un territoire, sachant qu'on a pris le parti de travailler sur les bassins versants de grands fleuves, et donc, avec nos ressources, on couvre 80 % de la France.
J’imagine que cela permet d'embarquer beaucoup de monde sur le sujet et de montrer les interconnexions entre les territoires…
Oui, chaque bassin-versant a impliqué la participation de dizaines d’acteurs et l’outil permet de s’adresser à des publics très variés. C'était essentiel parce que derrière c'est un projet qui a nécessité beaucoup d'investissement et donc de ressources financières. Il y avait un intérêt d'efficacité en utilisant des méthodologies communes aux différents bassins versants. Cela permettait, pour la partie graphique, par exemple, de faire des économies d'échelle quand on dessine des choses sur un bassin et qu'on les retrouve dans un autre. Ça nous permet d'avoir un impact fort et des ressources financières cohérentes par rapport à l'ampleur du projet.

Des ateliers peuvent s’organiser autour de grandes fresques qui représentent les bassins versants. Comment cela se passe-t-il ?
Ce qui fait encore aujourd'hui la force de cet outil, c'est qu'il est utilisable dans beaucoup de contextes éducatifs, depuis les tout-petits jusqu'à un public adulte dans des cadres événementiels ou de formations. Nous l’avons par exemple utilisé sur la Seine lors de rencontres de spécialistes de l’eau organisées par l’Établissement Public Seine Grands Lacs. Cela permettait d’aider dans la connaissance mutuelle des acteurs qui venaient de différents territoires et facilitait leur rencontre. Il est aussi beaucoup utilisé dans les écoles et sur des fêtes de la science et autres événements grand public. Les thématiques de travail sont nombreuses et il est possible de faire des séances sur les cycles naturel et domestique, la géographie et l’histoire du territoire, les paysages, la biodiversité, les milieux aquatiques, les activités comme l’agriculture, le risque inondation, etc !
Comment peut-on se procurer ces supports ?
Il existe deux méthodes de distribution des ressources éducatives : la première a consisté à diffuser un nombre limité de malles pédagogiques physiques, fabriquées en fonction des financements obtenus. Aujourd’hui, elles ont toutes été diffusées un peu partout en France, en Belgique et en Italie. Nous avons eu la participation de nombreux acteurs de l’éducation populaire, de l’éducation à l’environnement, des Ligues de l’enseignement, des Centres Permanents d’Initiatives à l’Environnement (CPIE), des ligues de protection des oiseaux, des partenariats avec Surfrider, des collectivités locales, et d’autres acteurs qui gravitent autour de l’école.
Parallèlement, nous mettons à disposition des ressources sous licence Creative Commons, ce qui permet à chacun de les réutiliser, de les télécharger à nouveau et même de créer sa propre mallette pédagogique.

Est-ce qu'il y a des prérequis pour s'emparer de ces outils ?
En réalité, le niveau de formation nécessaire à son utilisation dépend du niveau technique du public ciblé et de la thématique abordée. Il n'y a pas forcément besoin de beaucoup de formation si on veut faire une activité pour travailler le cycle naturel de l'eau ou bien la biodiversité du territoire, par exemple. Avec des tout-petits, on peut simplement demander où est le tracteur ou l'usine et parler des activités humaines. À partir de la présence ou de l'absence d’éléments dessinés dans le paysage, on peut discuter de tout avec tout le monde, selon le niveau de connaissance de l’éducateur ou l’éducatrice qui anime mais aussi celui des participants et participantes qui peuvent bien sûr apporter aussi leurs savoirs. Derrière cet aspect graphique, il y a une documentation importante et une méthodologie d'arbitrage de ce qu'on dessine ou pas, parmi les milliers de cours d'eau et de villes qu'il peut y avoir. On a essayé de garder quelque chose à la fois proche de la réalité et très, très simplifié.
Après, on a des ressources qui permettent de se former sur la connaissance de son territoire. Par exemple, on explique ce qu’est un bassin versant, et on parle plus spécifiquement des bassins versants de la Loire, de la Seine, de la Garonne, de la Meuse, de l’Escaut… On a fait un travail documentaire important pour que l’utilisateur, s’il veut faire une animation sur le risque d’inondation par exemple, puisse facilement trouver les informations spécifiques au bassin versant qui est le sien. C’est vrai pour chaque thématique.
Concernant la mécanique d'utilisation, son succès réside dans la simplicité du schéma. Comme c’est très visuel, on va pouvoir aborder des choses différentes et s'adapter à de nombreux contextes avec un seul et même outil. Même quand on fait les animations pour des enfants, avec la fresque déployée en extérieur, c'est très régulier que des adultes s'arrêtent pour écouter, ou viennent nous interroger. “Ah, c'est super joli, qu'est-ce que c'est ?” Et puis on commence à discuter à bâtons rompus du territoire sur lequel on habite ensemble. Et c'est ça, le lien du bassin versant : on est tous unis à travers le fleuve, même si on habite à des centaines de kilomètres.

Est-ce que Fleuves Grandeur Nature a permis de faire connaître ou de développer la pédagogie de la conscientisation et de l’engagement ?
Au moment où on lance le projet, il y a déjà des choses qui ont été intellectualisées ou décrites dans les milieux universitaires au sujet de cette pédagogie, donc on n’a rien inventé. Cela venait d’ailleurs faire une critique constructive de la pédagogie socialisante de nos modèles éducatifs, qui apprennent à rentrer dans la société pour s'y intégrer, plus que d'apprendre à être un acteur de sa transformation. C’est sur cette base-là justement que ces chercheurs et chercheuses en sciences de l’éducation ont essayé de regarder les écueils et les limites de notre système.
La pédagogie de la conscientisation et de l'engagement c’est un processus long, dans l'accompagnement du développement d'un enfant. On s’en est inspirés pour Fleuves Grandeur Nature mais ce n'est pas pour autant la clé d'un changement profond parce que le temps de présence devant la fresque va être limité et donc on n'a pas la prétention d'avoir complètement fait de la pédagogie de la conscientisation et de l’engagement.
Le lancement officiel de Fleuves Grandeur Nature a eu lieu en 2017. Est-ce que vous avez encore des demandes ou questions d’utilisateurs ?
Oui, par exemple on a des acteurs qui viennent nous voir parce qu’ils ont besoin de nouvelles étiquettes pour les activités, tellement ils les ont utilisées ! Ou alors des gens qui ont entendu parler de l’outil et voudraient y accéder. En fait, jusqu’en 2023 ils pouvaient le faire de manière autonome mais les serveurs qui hébergeaient notre site Internet ont été piratés. Le système de sauvegarde mis en place par notre prestataire était défaillant donc notre site n’est plus fonctionnel depuis ce piratage. On a perdu la partie interactive du site qui avait par ailleurs nécessité un gros développement, mais si les gens nous contactent on peut leur envoyer toutes les ressources pour qu’ils créent leur propre malle pédagogique. Avant, on avait des milliers de téléchargements sur la plateforme. Il y avait aussi des activités interactives en ligne, où tout en étant derrière un écran, tu pouvais plonger dans le paysage, selon les thèmes des activités, cliquer sur un point et puis avoir une information, une photographie de ce qui est dessiné… On croise les doigts pour y arriver, mais on travaille pour le remettre en place.
Pour aller plus loin
Contact à la Ligue de l'enseignement de la Loire : cedecole@laligue42.org
Des ressources pour voir l’eau comme un bien commun
