Transformer : se mettre en action pour la transition écologique
Face au déficit de formation aux enjeux climatiques et environnementaux des adultes, la fédération de la Loire s'est lancée dans un grand projet européen pour créer des ressources gratuites sur le sujet.
La ressource
Transformer, c’est le fruit de trois ans de travail entre la Ligue de l’enseignement de la Loire (42) et deux partenaires européens, pour créer des ressources de formation autour de la transition écologique. Clémentine Roux Frappaz, chargée de mission au service éducation, environnement et transition écologique à la Ligue 42, nous présente ce projet.
Comment le projet Transformer est-il né ?
On a fait le constat qu’on essaie beaucoup de sensibiliser les enfants à la transition écologique, mais qu’il y a un retard sur la formation des adultes. Le programme des Nations unies pour le développement a d’ailleurs constaté en 2020 l’insuffisance de “l’offre éducative pour les adultes sur les thèmes du changement climatique et de la transformation écologique résiliente”, ce qui constitue un frein au changement pour un monde plus durable. D’autre part, on met beaucoup de responsabilités sur les individus alors qu’il y a aussi besoin que les organisations s'y mettent, et pour cela il faut impulser une énergie collective. C'est de là que tout est parti, avec l’intention d’aller toucher les entreprises, les collectivités et les associations.
Le projet a été pensé par nos collègues italiens, de la coopérative sociale Le Mille e Una Notte, avec qui on a déjà travaillé sur PACTE (ndlr : des ressources pédagogiques sur la transition écologique), et ils ont amené un nouveau partenaire espagnol, FAGIC, la Fédération des Associations Gitanes Catalanes.
Comment fonctionnent les ressources pédagogiques de Transformer ?
C'est comme un grand catalogue dans lequel on choisit, suivant ses besoins, ce qu'on va faire - et c’est gratuit. On a tout développé autour de trois thèmes liés au changement climatique : biodiversité et climat ; eau et climat ; ville inclusive, verte et durable, et climat. Une autre particularité de Transformer est sa disponibilité en trois langues : français, italien et espagnol. In fine, ça permet de décider quels changements on veut impulser dans son organisation.
Dans le catalogue, il y a trois modules et 34 activités. Le module 1 est très général : c’est apprendre à dialoguer, à faire ensemble. Tout ce qui touche à la transition écologique apparaît en toile de fond.
Pourquoi cette étape est-elle si importante ?
Parce que la transition écologique nécessite une dynamique collective ainsi qu’un travail sur la réduction des inégalités, car tout est systémique. C'est donc très important d'avoir des personnes qui se connaissent et qui sont en mesure de dialoguer ensemble.
Le module 2, quant à lui, sert à faire culture commune autour de la transition écologique. De quoi parle-t-on ? Quelles sont les connaissances sur le sujet ? Parce que, par exemple, si quelqu’un dit, “ce serait super de faire un aspirateur à CO2”, il faut pouvoir répondre qu’à ce moment-là on ne prend pas le problème à la source. On crée de nouvelles technologies consommatrices de matériaux rares, on va polluer l'eau et l'air, etc. Les effets rebond, c'est exactement cela : on met un protocole en place pour réduire le changement climatique et, en fait, on provoque autre chose derrière sans s’en rendre compte. Le but est d’essayer d’apprendre à regarder le monde avec un grand angle, en évaluant les impacts de nos choix.
Dans ce module, il y a aussi des activités sur les discours de l'inaction. Par exemple, on peut se dire “de toute façon, c'est déjà trop tard, on ne peut rien y faire”. Ou encore “ce n'est pas à moi de faire quelque chose, alors que la Chine est le plus gros pollueur au monde.” Et donc, on préfère fermer les yeux. Notre but, en travaillant sur ces discours, ce n’est pas forcément d'arriver systématiquement avec une injonction contraire, mais plutôt d’établir un nouveau narratif qui permet de se bouger.
Le troisième module porte sur l'action, il s'appelle “Agir, soi et avec les autres”. Parce que d’un côté, chacun réfléchit pour soi, à ce qu'il veut changer dans ses actions, et d’autre part, on réfléchit ensemble à ce qu'on change dans notre groupe, nos fonctionnements et nos comportements.

Quels sont les outils mis à disposition sur le site ou dans les mallettes pédagogiques ?
D’abord, il y a un guide de formation avec, pour chaque activité, le résumé, les objectifs, la durée, le matériel. L’objectif, c'est que les utilisateurs s'en emparent sans que l’on ait à intervenir. Ça peut être quelqu'un qui aimerait impulser une démarche de transition écologique dans son organisation, et qui ne sait pas par où commencer.
Il y a aussi 60 fiches de pratiques inspirantes qui sont utilisées dans certaines activités. Ces exemples émergent d’individus, de collectivités ou d’associations. Cela va du repair café au système de récupération d’eau de pluie. Enfin, il y a le petit guide européen, qui est un résumé et qui présente les bases du changement climatique. Après, on fait le service après-vente, c’est-à-dire que l’on peut aider dans la prise en main des outils si nécessaire.


Exemples de fiches de pratiques inspirantes
Comment la formation parvient-elle à s’adapter à un public hétérogène au sein d’une même entreprise, allant de personnes très au fait des enjeux du changement climatique à d’autres qui sont sceptiques à son égard ?
Alors, pour l’expliquer, je peux parler de la manière dont on a mené la phase de test des outils dans notre fédération. La première chose, ça a été d'avoir le soutien de la direction. C'était très important, pour affirmer la volonté de la structure d’agir face aux enjeux environnementaux et climatiques, reconnue ainsi comme une priorité acquise. Nécessaire aussi parce qu’il fallait dégager du temps des salariés. Et puis, il y a des décisions qui ne se prennent pas sans l'aval de la direction, c’est donc indispensable si l’on veut faire de gros changements.
Au sein de la fédération 42, on a voulu tester sur cinq sites, avec des corps de métiers totalement différents. Bien sûr il y a notre équipe du service environnement. Le service éducation populaire, lui, est plutôt axé sur la vie associative, le service vacances, le sport, le numérique. En réalité, la majorité de nos collègues travaillent dans des centres médico-sociaux. Ce sont des médecins, des psychologues, des psychomotriciens, des orthophonistes... La transition écologique n'est pas leur préoccupation première dans leur travail, et c’est compliqué pour elles et eux de prendre deux demi-journées de leur temps sur ces questions-là. Avec le soutien de la direction, on a rendu obligatoire ces temps car l'urgence climatique est maintenant. Tout le monde n'a pas été enchanté mais certains étaient ravis et n'attendaient que ça. Et au final, l’évaluation a démontré la grande satisfaction des près de 120 collègues qui ont participé avec une note moyenne de 8/10. Pour arriver à ce résultat, les activités de formation partent beaucoup des connaissances des gens et créent de l’interaction bienveillante entre eux. Celles et ceux qui en savent “plus” peuvent partager avec celles et ceux qui en savent “moins”. Cela crée une dynamique. L’animateur ou animatrice est là pour apporter des informations complémentaires. Le but est d’arriver à des repères communs avec quelques ordres de grandeur pour agir au bon niveau et mettre de l’énergie collective aux endroits les plus pertinents.

Le module 3 : réfléchir ensemble aux actions à mener pour la transition écologique et s'organiser pour les mettre en place (photo : Ligue de l’enseignement 42)
Quel a été l’impact de cette utilisation des outils de Transformer dans la fédération 42 ?
Sur les cinq sites où nous sommes allés, les collègues ont défini des actions à mettre en place. Au total, une quarantaine d’actions a été engagée et portée par les salariés ou par la direction. Pour les personnes anxieuses par rapport au changement climatique, ce qui est tout à fait compréhensible, passer à l’action permet de se sentir mieux. Chez nous, sur le site de Roanne, on fait appel à des AMAP pour pouvoir manger local et bio. Il y a aussi eu des négociations au niveau des aides aux transports, même sur le vélo, toujours pour encourager les mobilités douces, et un abri à vélos a été construit. Au niveau du chauffage, on a réussi à obtenir qu'il soit mis à 19°C de façon automatique, au lieu de 21°C, ce qui fait une énorme différence de consommation. C’est une petite victoire, et on a aussi réduit les amplitudes horaires et arrêté de chauffer pendant les vacances. Il y a des choses qui vont de soi, mais pas toujours faciles à mettre en place dans une grosse structure comme la nôtre.
Avant cette phase de test, comment la conception des ressources s’est-elle organisée, entre les trois pays ?
De notre côté, on a chapeauté les pratiques inspirantes, c'est-à-dire qu'on a créé le modèle, mais ensuite chaque pays va chercher ses propres exemples et interroger les personnes - il y a 20 pratiques par pays. Le Mille e Una Notte, le porteur du projet italien, s'est occupé de coordonner les activités de formation, en établissant qui fait quoi, le temps imparti, etc. Ils ont également fait le guide européen, la traduction, et le site internet. Et FAGIC, en Espagne, s'est occupé du montage des vidéos. Mais après, au sein de chaque entité de travail, on a toutes et tous travaillé sur les différents éléments, c'est-à-dire que l’on a tous créé des activités pour le guide par exemple.
Comment vous y êtes-vous pris pour travailler ensemble en parlant des langues différentes ? As-tu observé des différences culturelles entre vous ?
C'était la première fois qu'on travaillait en trois langues. Notre collègue italienne faisait la traduction pour que tout le monde puisse se comprendre le mieux possible. Ça implique du temps, parce qu'en réunion il faut traduire ce que tout le monde dit.
Cependant, on peut parler, certaines fois, d'incompréhension. Par exemple, lors d’une rencontre à Barcelone, nous animions un test d’activité. Au moment d’expérimenter les ressources, les collègues ont quitté la salle. On s’est retrouvés un peu bêtes, mais en fait ils étaient partis en terrasse de café pour faire leurs activités, chacun de leur côté, et sont revenus ensuite. Ils ont simplement une manière de travailler plus détendue que nous. Avec l'Italie, aussi, les choses étaient un peu moins cadrées par rapport à nous Français qui passions pour très structurés. On s'adapte, et c'est justement ce qui fait la richesse de ces outils-là : certains sont plus cadrés, d’autres plus libres, et ça se complète bien. Et puis, ça crée des liens, c'est une aventure humaine aussi.
Est-ce que tu avais des craintes, justement, du fait de développer un projet aussi ambitieux avec deux autres pays ?
Alors non, parce que j'adore travailler avec des partenaires étrangers. J'ai vécu dix ans en Inde, donc au contraire, j’apprécie beaucoup ! Je suis de nature optimiste, mais peut-être que ma crainte se situait plutôt dans le fait d’être jugée par nos collègues, sur les outils créés et testés avec eux. Est-ce qu'ils vont les apprécier ou est-ce qu'ils vont se dire “oh là là, ces écolos, il nous casse les pieds” ? On a eu des personnes qui ont effectivement pensé ça, mais au final, ça plante des petites graines. C'est le challenge de Transformer : si on veut mettre en place quelque chose dans une structure, il faut accepter que ça prenne du temps et qu'il faille de l'énergie pour ne pas lâcher.
Quand le lancement officiel de Transformer a-t-il eu lieu ?
Début 2025, entre janvier et mars suivant les pays. On a aussi fait un lancement en webinaire. On était également présents au salon l’Instant Eco Durable à Roanne, et à Rome et à Barcelone il y a eu une conférence retransmise en ligne.
Et quelles sont vos actualités ?
On a eu un retour très élogieux de la part de l'Europe : 97 sur 100, on a pleinement atteint les objectifs, “en relevant avec efficacité et originalité les défis liés à la transition écologique et à la formation des adultes. (...) Un travail qui mérite d'être partagé et reproduit.”.
On va continuer à diffuser les outils comme au Greener Festival à Lyon. Et puis, comme il nous reste des mallettes pédagogiques, on va continuer à les diffuser, peut-être à des CCI ou à d’autres fédérations aussi, c'est carrément possible.
Et au sein de la Ligue 42, on continue à aller voir ce qui se fait sur les différents sites, à demander aux collègues si ça se passe bien. C'est ultra important d'avoir un suivi pour ne pas baisser les bras.
Pour aller plus loin
- Les contacts si vous voulez aller plus loin : transition@laligue42.org
- Le site du projet : https://erasmus-transformer.le1000e1notte.it/fr/home-fr/
- Résultat de l'étude-action du Labo de l'ESS : L’éducation populaire au service de la transition écologique juste
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